DEBAUVE Sulpice (1757-1836)
France

Debauve et Gallais, une légende pour le chocolat

Tapis dans leur écrin du 30, rue des Saints Pères, c’est une myriade de couleurs et de saveurs qui vous attendent. Le chocolat est sous toutes les formes, fidèles à la tradition, avec cette qualité qui a fait le tour du monde. Venez saluer ce grand créateur du goût qu’est Sulpice de Bauve, le chocolatier de la Reine Marie-Antoinette. C’est avec beaucoup de gentillesse que M. Bernard Poussin, directeur général de Debauve et Gallais et descendant de Sulpice de Bauve, nous a reçus. Ce moment fut précieux dans un décor plus précieux encore. Nous sommes heureux de rédiger ce petit article, témoin de notre reconnaissance (Régis Dufour Forrestier).

Sulpice De Bauve (ou Debauve) voit le jour le 6 décembre 1757. C’est un homme du siècle des lumières. Il est issu d’une famille de petite aristocratie de robe, aisée, mais non fortunée. Son père, Louis Bienvenue, est médecin. Sa principale fierté est d’être un des souscripteurs de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

Né en 1729 et mort en pleine terreur révolutionnaire, ce dernier a cinq enfants dont, comme il est courant à cette époque seuls deux parvinrent à l’âge adulte. Sulpice, l’aîné et son jeune frère Louis. Sulpice est destiné à la médecine, son père étant le médecin particulier de nombreux aristocrates rouennais. Louis fait ses études au grand séminaire en dépit de l’encyclopédie mais pour plaire à sa sœur, Marie Adélaïde Thaïs De Bauve, bigote avérée entre toutes…

Louis, élevé dans la philosophie des Lumières, n’a pas vraiment la vocation religieuse. Il obtient de son père l’autorisation de faire, lui aussi, sa médecine. Doté d’un tempérament passionné, il se marie très jeune à une aristocrate orpheline confiée à sa tante, la terrible Marie Adélaïde. Juste marié, il part avec sa jeune épouse aux Amériques comme volontaire pour servir sous les ordres du Marquis de Lafayette comme médecin militaire.

Il reste après la déclaration d’Indépendance. Mais sa trace se perd quand il quitte Philadelphie pour s’établir à la Nouvelle Orléans. Contrairement à son cadet, Sulpice est d’une nature trop délicate pour devenir médecin et il s’oriente finalement vers une matière plus scientifique, la pharmacie.

Il étudie à Paris et son père l’établit en 1779 à Saint-Germain en Laye succédant au pharmacien ordinaire du Roi à Versailles, lointain parent sans héritier, juste décédé, grâce aux appuis qu’il a à la Cour au travers de quelques nobles rouennais très en vue à la Cour. Or, il s’avére que Sulpice est un vrai professionnel, aussi compétant que désireux d’élargir le champ de ses connaissances.

Il est breveté Pharmacien du Roi dans les domaines de Versailles et Saint-Cloud. Doit-il à son trisaïeul, David Chaillou, le premier et le seul depuis cette date, à avoir porté le titre de «Chocolatier du Roi», son intérêt particulier pour le chocolat ?

Il choisit donc le cacao comme champ de ses recherches. Répétition de l’histoire? Sulpice de Bauve sera le second Chocolatier du Roi, plus d’un siècle après son trisaïeul ! Toute sa vie durant, Sulpice est un chercheur infatigable, même au vent mauvais de ses affaires. L’officine de Sulpice est à moins d’une heure du Palais de Saint-Cloud, la résidence favorite de la jeune Reine Marie-Antoinette.

En 1779, alors qu’il rend visite à la Reine avec une nouvelle préparation, elle se plaint comme une enfant du mauvais goût de la plupart des préparations qu’elle doit prendre. Elle se remémore le goût du chocolat chaud à la Viennoise dont elle faisait ses délices d’adolescente. Mais mélanger des préparations médicales avec du chocolat chaud n’est pas une bonne idée.

C’est ainsi qu’il réalise dans le pavillon de Valois, bâtiment du château de Saint-Cloud réservé au «Service de bouche du Roi», les Pistoles de la Reine. Il travaille sur la table de marbre à incorporer le lait d’amandes dans du chocolat maintenu à température dans un bain-marie posé sur un réchaud à braises.

La naissance de ces pistoles est une date importante et décisive dans l’histoire du chocolat. C’est l’apparition du chocolat à croquer, ou à laisser fondre, comme préconisé à l’époque. C’est aussi une étape indispensable avant l’invention du bonbon. Le nom aurait pour origine la Reine elle-même quand elle voit les premières rondelles en forme de pièces.

La Révolution venue, Sulpice se fait discret. Ses parents le rejoignent à Saint-Germain-en-Laye. Ceux ci abandonnent leurs domaines en Normandie à la merci des acquéreurs de biens nationaux. C’est avec impatience que Sulpice attend la fin de la tourmente révolutionnaire pour pouvoir à nouveau acheter des fèves de cacao. Après thermidor, la chance lui sourit à nouveau. Grâce à divers cousinages de sa famille, il est resté en relation avec les Beauharnais.

Les origines créoles de Joséphine lui permettent de s’approvisionner et de reprendre ainsi ses recherches sur des fèves d’excellente qualité. Sous la protection de Joséphine de Beauharnais, il reprend son activité commerciale. C’est le fournisseur des gens en place : Barras, Cambacérès à qui il fait prendre goût aux fameuses pistoles …

Le général Bonaparte, sur la recommandation de son épouse, goûte également et boit du chocolat, la boisson, semble-t-il lui plait. Sulpice s’abouche aux familiers du futur empereur et obtient le brevet de Chocolatier du Premier Consul. Il vend sa pharmacie de Saint-Germain en Laye pour s’installer en mai 1800, dans une petite boutique de la rue Saint-Dominique.

Au fronton de sa boutique, il inscrit la devise d’Horace: «Utile Dulci». Il peut, dès lors, se consacrer à la recherche des vertus médicinales du cacao et à l’amélioration des qualités gustatives du chocolat. Les années du Consulat et de l’Empire sont vraiment celles de la recherche. Ce sont surement les années les plus heureuses vécues par Sulpice.

L’Archichancelier de l’Empire Cambacérès, président de la Société de Gastronomie, les nouveaux prêtres du Savoir-goûter, Grimod de la Reynière ou Brillat-Savarin, les grands de la cuisine comme Carème, ou bien encore Corvisart, le médecin de l’Empereur, tous se penchent sur le chocolat et couvrent Sulpice d’éloges.

A la Restauration, Sulpice n’a plus le temps, s’étant mué en homme d’affaires. C’est donc son neveu, Jean-Baptiste Auguste Gallais qui se consacre à la recherche. Né en 1797, fils de Jean Gallais, médecin militaire de toutes les campagnes de la Révolution et de l’Empire, et d’Anne Guillemot, Jean-Baptiste est encore plus homme de laboratoire que son oncle.

Les deux hommes s’entendent à merveille et le neveu épousera la fille aînée de Sulpice, Laurence. De cette union naitra la petite Louise Augustine, adulée par son grand-père. La Restauration, avec le retour de la paix en Europe, une période d’euphorie s’établit. Sulpice obtient, en mai 1816, une lettre de créance de Louis XVIII, lui conférant le titre de «Chocolatier du Roi», titre élargi à son neveu en novembre 1824.

Les affaires poursuivent une forte ascension. Il peut donc acheter, en 1817, des locaux situés au 30 (le 26 à l’époque) rue des Saints Pères, près du Palais du Louvre. Plusieurs ateliers y trouvent place au-dessus du magasin, au rez-de-chaussée. Seule, la décoration reste à faire. Sulpice opte pour une conception très contemporaine.

Il fait appel à Percier et Fontaine, architectes et décorateurs en vogue, auteurs, entre autres, d’une partie du Louvre. Ils sont appelés par leurs contemporains les «Dioscures» car inséparables. C’est à Fontaine que l’on doit la boutique semi-circulaire, avec des fenêtres en demi cintres divisées par des colonnades dites en perroquet.

L’intérieur est meublé d’un immense comptoir également en hémicycle pour épouser la forme définie par une colonnade de marbre peint. Achevée en octobre 1819, c’est aujourd’hui la seule boutique dessinée par Percier et Fontaine existant encore. Elle est donc inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.

C’est à cette époque que Jean-Baptiste part pour les Amériques. Ce voyage a pour but d’établir une cartographie des lieux de plantations des cacaoyers. Jean-Baptiste part en mai 1820 avec une lettre de recommandation de Lacépède à bord d’un voilier qui aborde au Venezuela. A son retour, il s’applique à exploiter ses notes, son principal travail ayant été une classification rigoureuse des clos.

Ce travail n’est jamais édité du vivant des deux fondateurs. Après leur mort, il est périodiquement mis à jour. Jean-Baptiste Gallais publie en 1825, un ouvrage intitulé «Monographie du cacao». Si Sulpice est resté à Paris, pendant que son neveu est en Amérique, c’est que la capitale est encore en ébullition. Sulpice De Bauve s’éteint à Paris le 12 avril 1836, à l’âge de 78 ans. Son œuvre et ses travaux sont unanimement salués par tous les grands noms de la médecine : les Portal, Alibert, Montègre, Corvisart.

Tous nos remerciements à Mme Guénola Groud et à Mr Bernard Poussin pour leur aide précieuse.

Pour consulter le site de la marque Debauve et Gallais

Sources : Cuvelier (Paule) Paris, chocolat et passion : une leçon d’arrogance française !, Manuscrit, 2008 ; Cuvelier (Paule), Brochard (Gilles) La légende de Debauve et Gallais, Deux siècles au chocolat. Date de création : 2008-10-29.

Photos

Monument

Sulpice Debauve repose sous une pyramide surmontée d’une urne en pierre et précédée d’une grande jardinière en pierre.

Inscriptions : Ici reposent les dépouilles mortelles
de Sulpice DEBAUVE … pharmacien décédé à Paris le 12 avril 1836 à l’âge de 78 ans.
et de Catherine DUCHEMIN … décédée à Paris le 14 novembre … à l’âge de 63 ans.

Photos


Date de la dernière mise à jour : 14 septembre 2021