Mannequin et styliste française
Dauphine de Jerphanion voit le jour en Île-de-France en 1958.
Décédée à Paris le 15 octobre 2013.
Elle était la fille de Gabriel de Jerphanion et de Colette Vauthier.
Mannequin, styliste française.
Dauphine de Jerphanion nous a quittés cette semaine. Sirène drapée ou ange en tailleur fatal, elle aura incarné toutes les obsessions hollywoodiennes de Thierry Mugler, entre Marlene Dietrich et Flash Gordon. Hommage à une muse devenue styliste au Bon Marché, dont la gouaille et le chic auréolaient cette figure de mode, made in Paris sixteenth.
Un portrait paru dans Stiletto, en 2004.
Ange blond du Trocadéro, un rien titi Pompadour, avec sa bague lapin en strass et son chien Nietzsche, elle reçoit dans son rez-de-chaussée aux murs de damas rouge jungle.
Le Diable s’habille en Prada et un paquet de cigarettes blondes reposent sur une table de jeu miniature. Quel drôle de destin a conduit la descendante du curé de la Madeleine à incarner Madame Lucifer sur un podium ? La devise des Jerphanion, "Du ciel vient ma blancheur", semble tracée sur le visage de cette muse muglérienne, dont le créateur fixa, entre 1981 et 1987, l’image sidérale.
Il l’appelait "la baronne destroy". C’est à ce pygmalion danseur, artificier de la silhouette, qu’elle doit une forme d’exigence, de rigueur, héritée de ce temps où "le studio vivait pour la collection".
Née d’un "père misanthrope qui, à la campagne, restait dans la rosée à regarder les étoiles", et d’une mère marseillaise vouvoyée jusqu’au bout, Dauphine de Jerphanion a fait ses classes à Sainte-Marie-de-Passy, puis à Lubeck. Le temps ne semble pas vouloir se défaire d’une certaine éducation, de ce monde où flottent, dans un parfum d’encens, les souvenirs de ces petits matins des années 80.
Incapable de se déshabiller toute seule à cause de son encombrante robe Mugler, Dauphine faisait appel à Madame Béatrice, la gardienne du 31 de la rue Franklin. Les robes étaient alors des personnages avec lesquels il fallait composer, et poser. Tailleur à bords crantés, taille nette, structurée, épaules au carré arrondi célèbre, le style fait l’homme.
"Thierry Mugler dévorait les biographies de stars. Il connaissait tous les films. Il a toujours été fasciné par Hollywood. Il m’a fait promettre de toujours tricher sur mon âge, d’au moins deux ans."

L’âge d’or des années Palace
Bergères Louis XVI tendues de soie bleu lapis, entrée peinte en vert Véronèse, les couleurs claquent en toute intimité, à l’image de ce portrait qui monte la garde dans le couloir rose blush : "tiens, il est un peu trop restauré. On dirait que Bobbi Brown est passée par là", s’excuse-t-elle en riant, à propos de son aïeul Honoré de Lyle,"archer du corps du Roy 1497". Les siècles passent, les décennies aussi, mais l’excentricité demeure, fidèle à l’ambiance de cette demeure aux allures de casbah goth pop dominant la Tour Eiffel. Le Jack Russel Terrier dort dans le fauteuil patchwork.
Elle aura été l’une des premières Parisiennes à oser la coupe asymétrique. C’était en 1980, dans Votre Beauté, où elle posait coiffée par Daniel Harlow, avec une minirobe de France Andrevie. Mais c’est Thierry Mugler qui a fait de Dauphine une blonde platine. Ali Mahdavi se souvient de ses débuts comme assistant au studio Muglier : "Il m’a appris qu’il n’y a rien d’impossible. Il allait toujours jusqu’au bout de ses obsessions."
Pour les aficionados de la mode, les survivants du Palace, le nom de Dauphine est à lui seul le symbole d’un âge d’or. Celui du "Zénith", le premier défilé payant jamais organisé par un créateur (mars 1984). Thierry Mugler avait conçu un spectacle aux mesures de sa démesure : "Pat Cleveland tombait du ciel enceinte. J’étais sous une douche d’or", commente Dauphine, qui évoque encore quelques séances photo mémorables : "Là, les bassins du Trocadéro étaient gelés. Le petit nuage ne passait pas. Photoshop, on ne connaissait pas encore." En 1986, il faut une autorisation spéciale du président de la République pour que Thierry Mugler la consacre en Dauphine de France, sur le péristyle du Grand Trianon, à Versailles. Les étoiles se bousculent, Iman sous une ombrelle, un singe dans les bras, les lévriers afghans "qui ne voulaient pas sortir à cause des flashes", les pluies d’or, les chaussures teintes à l’échantillon, les fiches techniques. "A quatre heures du matin, j’allais au make-up. Un jour, j’étais Eva Peron. Un autre, Marlene Dietrich." Des jeux de rôle qui ne semblaient pas alors modifier le théâtre des sensibilités nocturnes :
"Personne n’était star, on rencontrait tout le monde. Il n’y avait pas de garde du corps. La mixité était à l’état brut. Jean Paul Gaultier faisait son premier défilé. Monsieur Saint Laurent était dans les fêtes, avec Loulou de la Falaise. Les gens étaient extraordinaires de beauté. Tout ce qui était décalé était fort. Aujourd’hui, il faut que tout colle."
Retour à la beauté hollywoodienne
Elle aime trop la mode pour être nostalgique, elle qui a participé au style Bon Marché et à son "théâtre de la beauté", avec la plus haute concentration urbaine de piques à chignon. Fantaisie majeure à peine contrariée par des silences. Le souvenir des années 80 reste en elle, à l’image de ce tatouage, cette étoile verte qu’elle arbore discrètement au poignet gauche, sous sa montre. Bien sûr, quelque chose est là, qui rode, comme un fantôme autour d’elle. Les amis disparus, les fêtes overdosées qui virent mal : "On est passé de peace & love à la mort. Puis le sida est tombé sur la tête de tout le monde." Elle renonce à sa carrière en 1987 pour se marier et élever son fils à Los Angeles, avant de réintégrer le studio de création en tant que directrice. Et de poursuivre l’aventure avec Karl Lagerfeld, puis avec Ocimar Versolato, chez Lanvin, de signer des bijoux pour Jean Paul Gaultier et d’intégrer le bureau de style du Bon Marché en 2001. De Thierry Mugler, qu’elle considère comme un visionnaire, elle dit encore : "J’ai vécu chez lui, avec lui, ma grande adolescence. Ma jeunesse." Un ange passe.
Laurence Benaïm

Sources : Article de Laurence Benaïm, STILETTO (2004) Revue de presse et divers.
